we have to. /feat Olivia

Mon rituel matinal ne pouvait s’en trouver plus chambouler que ce matin même, où, dans un geste involontaire de la main, j’avais envoyé valser au sol la grande majorité des produits de beauté se trouvant sur mon comptoir de salle de bain. - Merde. grommelais-je entre mes dents, me maudissant intérieurement. Je soupirais, essuyant d’un mouvement rapide la fine larme qui perlait au coin de mon œil. Complètement absurde d’être dépassé par ce simple événement qui d’ordinaire, m’aurait à peine fait sourciller. Les émotions à fleur de pot, les crises de larmes et de rages qui se succédaient, sans oublier cette envie de tout ficher en l’air, de capituler, il me fallait composer avec ces vagues d’émotions chaque jour, chaque heure de la journée. Ça m’épuisait. Mes cernes devaient être bien apparents sur mon visage au teint pâle, une vision d’horreur. Je me devais de masquer cette faiblesse apparente. Il me fallait me ressaisir. Deux, trois, voir quatre respirations plus tard, je reprenais doucement contrôle de ma personne, et m’accrochant au rebord du meuble, je m’accroupissais afin de récupérer bouteilles, brosses et autres au sol, tâtant à l’aveugle la céramique froide du plancher jusqu’à ne plus rien y trouver. De l’autre côté de la porte, sa voix s’élève. Il me propose son aide, et j’évite de lui répondre. Mon silence à lui seul vaut comme simple réponse. Je m’en sors très bien sans lui, je n’ai pas besoin de me faire chaperonner de la sorte. Sauf que je n’en ai pas le choix. Mes parents m’imposent sa visite trois fois par semaine, unique condition à ma permission de vivre seule. Il me faut bien le supporter. Sa présence de l’autre côté de la porte m’indiffère par moment. La grande majorité du temps. Il se montre patient et calme malgré les tempêtes que je traverse. Solide comme le roc, petit à petit, il tend à devenir mon pilier, celui auquel je me rattache, et cette simple impression m’insupporte. Le fait que je sois aussi chiante à son égard ne veut absolument rien dire. Sauf peut-être que je mets tout en mon pouvoir pour garder mes distances.
Il me faut une quinzaine de minutes supplémentaires pour peaufiner ce maquillage rêvé, auquel s’en ajoutent au moins cinq, pendant lesquelles j’ai passé ma chevelure au peigne fin. Elle dégouline encore le long de mon dos, laissant sa trace sur mon chemisier, que j’ai réussi à enfiler sans grande difficulté. Aucun bouton de travers, aucun faux pli. Je m’en suis bien sortie… Du moins, c’est ce que je crois. Un miroir peigné en un clin d’œil l’horreur qui se trouvait sur mon visage, mais mon regard absent se fait traître, me laissant dans l’ignorance.  La porte claque, lorsque je l’ouvre avec enthousiasme, fin prête à  affronter cette nouvelle journée. Le glapissement de surprise que mes oreilles me renvoient m’informe que Mac ne s’attendait surement pas à mon entrée fracassante. Je traverse la pièce d’un pas convaincu, allant rejoindre ma commode où je range mes quelques breloques, boucles d’oreilles et compagnie. Il me questionne, à savoir si l’une de mes amies fera acte de présence aujourd’hui. – Non, pourquoi? lui renvoyais-je à la figure. De toute façon, mes rares amis n’avaient point besoin de sa permission pour me rendre visite, et il arrivait que Violet, notamment, se présente sans invitation. Il ravala bien vite son interrogation, me demandant ce qu’il y avait un programme de la journée. Des courses? – J’irais bien au magasin de musique, mais ça peut attendre. J’avais besoin que raisonne dans ce loft quelque chose de nouveau, un son différent, entraînant, quelque chose qui pourrait me changer les idées. J’en avais un peu marre de rejouer toujours les mêmes disques, les mêmes chansons, d’entendre les mêmes voix. – Des suggestions à me faire, peut-être? lui demandais-je, non pas que je m’y intéressant vraiment, mais le silence m’angoissait. Entendre une voix, la sienne, ou celle de n’importe qui d’ailleurs, valait mieux que ce vide immense.

Je tâte délicatement les nombreux bijoux que referme mon coffre, caressant du bout des doigts ces ornements de beauté que je n’ai plus le loisir d’observer. Mon toucher reste ma seule ressource pour reconnaître l’objet désiré. Ma main se referme finalement sur une fine chaîne argentée au bout de laquelle pend une clé de sol, cadeau de mes dix-huit ans que m’ont offert mes chers parents. L’enfiler n’est pas aisé, mais j’y parviens après quelques efforts non relâchés. Cette simple petite réussite me fait sourire, tout à l’opposé de ce gâchis que j’ai causé dans la pièce d’à-côté. La voix de mon ‘gardien’ s’élève dans la pièce et je me retourne en sa direction, mon regard absent le cherchant à tâtons, sans réellement le trouver. Il ne se dit pas original, et intérieurement, je lève les yeux au ciel, à défaut de le faire réellement. – Il doit bien y avoir quelque chose qui t’accroche plus en ce moment, une chanson fétiche, celle que tu hurles à tue-tête sous la douche… non? J’ai pas raison? Il ne doit pas faire exception, nous avons tous nos petits moments d’égarements et de relâchement quand vient le temps de se relaxer sous le jet d’eau brulant.  Mon registre passe de Beyoncé à Metallica de mon côté, et mieux ne vaut pas y assister, car s’il y a bien un talent que je n’ai pas, c’est celui de la voix. Plutôt que de me répondre, il se contente de garder le silence, et mes sens en alerte m’informent de sa proximité, comme si la perte de ma vue me permettait de deviner ces choses-là. Où n’est-ce plutôt que mon intuition? Je n’ai pourtant pas halluciné ces frôlements de bras. Je l’entends finalement qui s’éloigne de ces pas, et il m’invite à le rejoindre. Mosley, mon fidèle camarade,  vient se frotter tout contre ma jambe, attendant que je fasse quelques pas vers la direction souhaitée, ce que j’hésite doucement à faire, avant de me raviser. Je ne me fis qu’à la bête à mes côtés pour me conduire jusqu’à Mac, et heureusement qu’il reprend parole, car j’avais un peu l’impression de l’avoir égaré. Je m’arrête nette lorsqu’il me sollicite, et ma réponse ne tarde pas à franchir mes lèvres, pincées, vu mon état d’énervement. – Non, il n’en est pas question. Je refuse de m’approcher de cet instrument, je le délaisse depuis l’incident et il doit prendre la poussière, mais ça m’est bien égal. Mon idée première est de faire demi-tour et d’aller je ne sais où, mais sa main est plus rapide, et m’empêche de fuir loin de ce lieu maudit. Il cueille la mienne entre ces doigts, sa paume est chaude et réconfortante, pour autant, je suis loin d’être rassurée, ni même à l’aise de la situation. C’est un peu machinalement que je me pose sur le banc à ses côtés. Mon esprit vogue ailleurs, me ramène jusqu’à cette soirée-là, celle où ma vie à voler en éclat, comme les fragments de ce projecteur qui a fait de moi la pauvre demeurée que je suis devenue, aujourd’hui. – Ne me force pas à faire ça. lâchais-je finalement d’un ton faible, mais convaincu. Il était trop tôt pour ça. Je n’étais pas prête. Je ne le saurais peut-être jamais, même.